vendredi 2 janvier 2015

Gone Girl, de David Fincher



J'ai écrit ce papier à peine rentrée chez moi, juste après la séance, dans l'euphorie la plus complète. J'ai dansé dans l’ascenseur de joie d'avoir vu ce film, d'avoir vécu ce film, d'y avoir réagi, d'avoir été embarquée comme ça. Euphorie du cinéma.

Ce scénario - ce scénario! - (comme le spectateur) est mené d'un bout à l'autre sans jamais s'arrêter ; les retournements sont phénoménaux et toujours inattendus, et produisent encore plus de surprise que l'on croit. Comme des tours de magie: on sait qu'il va se passer quelque chose, mais on ne sait pas quand, ni comment, ni pourquoi; et finalement, on est impressionné même si on aperçoit la machinerie dans les coulisses.

Je n'ai pas "vu" les acteurs ; sauf peut être Niel Patrick Harris tellement son personnage (Desi) est fictionnel, filmique. Il a un rôle presque de comédie: l'emmerdeur niais, qui s'incruste et complique la situation en croyant bien faire. Mais dans ce contexte, il s'insère de manière tellement ironique que ça renforce le drame, loin de le déstabiliser. Son personnage n'enlève en rien de la densité du film; il reste entièrement pris dans l'histoire et dans le film. Il s'insère à la perfection dans cet univers d'apparences, de « réussir sa vie », de tchatche américaine, de fausse romance utopique et niaise.

Au début, la caméra est comme flottante, extrêmement fluide, mais le montage très rapide, et ce dès le générique. C'est ce qui m'a gênée au début, car on a à peine le temps de s'installer dans le film, de situer ces images. Mais c'est que déjà, le film porte son identité; une gêne s'instaure qui inspire quelque chose d'anormal. Quand on entre dans cette maison avec Nick Dunne, l'atmosphère est tout de suite étrange : cette maison est vide. Il ne manque pas seulement sa femme, il manque carrément des meubles, des objets, des souvenirs, il manque tout ce qui pourrait la rendre authentique, ce qui pourrait en faire un couple avec une vie normale. Rien que par le décor, tout est déjà suggéré : les couleurs ne sont ni marron ni beige, juste floues, les meubles sont impeccables et tellement intégrés au décor qu'on ne les voit même pas; les traces de vie ne sont nulle part, tout est propre et rangé, immobile... Il n'y a pas de vie de couple ici, pas même de vie, juste une sorte de non-présence. J'ai lu une citation du chef-opérateur, Jeff Conenweth (fidèle à David Fincher), qui disait: "Notre mission a consisté à trouver le moyen d’auréoler de mystère cette petite ville ordinaire et ses maisons impersonnelles".



Dans le métro, après la séance, je me suis acharnée à essayer de saisir clairement quelle morale on pouvait tirer de ce film. Pas facile, en fait, puisque chaque partie, et même chaque personnage, est guidé par une certaine vision de la justice... parfois contradictoires. 
D'un coté, la justice s'incarne chez le duo de policiers qui, malgré des apparences accablantes, poursuivent leur enquête en respectant la présomption d'innocence. L'enquêtrice refuse d'arrêter Nick Dunne car elle n'a pas de corps ; mais on se rend compte avec cet argument que ce n'est pas tant au nom de la justice qu'elle refuse de l'arrêter, mais parce qu'elle sait que le tribunal ne saura pas juger un tel cas de crime sans corps. La justice est garantie par l'institution et l'autorité ; elle protège des conclusions hâtives du second policier. Mais en vertu de la protection des innocents, on peut penser que la justice est impuissante... Cet aspect de la justice sauve d'abord Nick, mais c'est aussi cela qui le condamne... à sa propre vie.
Car la justice, comme le film, est bloquée par le problème fondamental du « c'est sa parole contre la mienne. » La justice est dépendante de la bonne foi des individus... Mais la société n'apprend pas la bonne fois ni l'honnêteté. 
Au contraire, les médias deviennent la seule forme de jugement, basé sur les images et leur interprétation. Cette justice est rapide, expéditive, basée sur une morale dominante plutôt dogmatique; en un mot: arbitraire, très loin de l'honnêteté idéale. Si je voulais en rajouter, je dirais qu'en plus, ces médias qui agissent et jugent au nom de l'opinion publique ne font que la formater.
Pour revenir au point de vue des personnages, Amy Dunne envisage la vengeance comme une forme de justice. Considérant que Nick a gâché sa vie en l'emmenant loin de New-York, dans le Missouri, elle estime que ce n'est que justice de se venger, par la persécution, la prison et la condamnation à mort. Dans un jugement rapide, on peut considérer d'abord cette rancune comme une juste réaction à une promesse de mariage brisée, un comportement irrespectueux ou malhonnête. Car on n'oublie jamais que Nick, s'il est pris au piège, reste un mari infidèle, lâche, voire ingrat. 
Et ce qui est ironiquement drôle, c'est que, dans la dernière partie du film, c'est Nick qui tient le discours de l'homme trahi, blessé, et à la merci de sa femme. A l'avocat, il dit que sa vie est en jeu... Miroir du discours d'Amy: c'est désormais elle qui gâche la vie de son mari, dans un sadisme si démesuré qu'il apparaît comme profondément injuste.  

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